« Nous sommes 17 artisans, avec un atelier de taille industrielle… »

Rencontre avec Sébastien ALBAUT, gérant de la société Marne Métal Concept à Châlons en Champagne. Ou plutôt avec l’un des 17 gérants de cette entreprise pas tout à fait comme les autres, puisqu’il s’agit d’une SCOP.
Une SCOP, qu’est ce que c’est? C’est une Société Coopérative et Participative, une entreprise détenue et gérée par ses salariés.

Vendredi 15 mars, 10h30, Châlons en Champagne.

Lorsque vous arrivez sur le site, rien ne le différencie d’un site industriel classique. C’est grand, vaste, plein de machines, d’hommes qui travaillent le métal dans le froid d’un atelier.
Quelques bureaux vitrés, qui donnent sur l’usine.
Ici, depuis 1972, on y fabriquait des radiateurs pour le groupe Zehnder. Et puis, il y a 4 ans, cette société qui appartenait à un groupe familial a été cédée à un fond de retournement allemand. La suite?  Malheureusement assez classique. Par manque de volonté des repreneurs, de fil en aiguille, on a laissé l’entreprise s’étouffer à petit feu, jusqu’au redressement judiciaire en 2018.
C’est là que le tristement banal s’arrête.
C’était sans compter sur la volonté de certains salariés, non résignés à cet état de fait, et attachés à leur entreprise.

Mélanie Faye, des Ressources et des Hommes : Sébastien, vous êtes un des gérants de la société. Comment est arrivée l’idée de la SCOP?

Sébastien Albaut : C’est lors de la période de redressement qu’on nous a dit que cette solution là existait. On en avait jamais entendu parler. Au début c’était la nébuleuse, il y avait beaucoup de questionnements.
On a fait une réunion, on a réuni toute l’usine. Personne ne connaissait les SCOP. Madame Maucourt ( la présidente de l’Union Régionale des Scop Grand Est) est venue expliquer ce que c’était qu’une SCOP, comment ça se mettait en place.
On a refait une réunion un peu plus tard. Avec ceux qui étaient intéressés. On a donné des dossiers, pour que les gens disent si oui ou non ils voulaient se lancer, et s’ils étaient prêts à mettre de l’argent.
Et à l’étape suivante, on a choisi dans les « OUI ». Je dis « on », parce qu’on était 3 à être très investis dans le projet dès le départ.
L’union régionale nous a accompagnés depuis le début. Très honnêtement s’il n’y avait pas eu l’Union, on n’aurait rien fait. L’Entreprise serait sans doute fermée. Ils nous ont aidé à conduire le projet, à trouver des outils. On a aussi un suivi avec quelqu’un qui nous aide.

MF : Comment avez-vous choisi les gens avec qui vous alliez lancer la SCOP?

SA : Nous avons choisi des gens par rapport aux compétences. Nous avons fait une liste. La liste a circulé et les gens ont dit ce qu’ils en pensaient. Et puis nous avons voté.
Nous avons aussi choisi par rapport au savoir être dont on avait besoin. Il fallait des gens motivés et qui savaient travailler en équipe.
Au début il y a eu du « S’il est là, je ne le fais pas ». Mais ça s’est équilibré tout seul. Les choix ont été assez automatiques.

MF : Le travail est-il le même avant et après la SCOP?

SA : Maintenant, on a tous un peu plusieurs casquettes. Dans les bureaux, on touche tous un peu à tout, les tâches sont plus larges. Et dans l’atelier tout le monde est plus autonome. Si on a fini une tâche, chacun se débrouille pour avoir toujours quelque chose à faire.
En terme d’organisation, ce qui a changé, c’est qu’on n’a plus de hiérarchie comme avant. Aujourd’hui, ce qui marche c’est le dialogue, et pas l’obligation. Avant, on a eu des chefs, des responsables, et les derniers temps ça changeait tout le temps! Ils ne connaissaient pas forcément bien le travail, alors quand vous appelez votre responsable et qu’il ne vient pas, forcément y a des heurts. Et ça, cela ne motive pas forcément pour être autonome… ça pouvait coincer. La situation a été compliquée. Aujourd’hui y a un vrai changement. Certains font quasiment trois choses en même temps, et peuvent rester en dehors des horaires pour finir ce qu’ils ont commencé. D’autres restent plus calés sur les horaires, mais tout ça s’équilibre.
On a une réunion tous les matins. On se donne nos avis, et pour les grandes décisions, on vote.

MF : Entre les gens? Comment ça se passe?

SA : Les choses se règlent entre elles. Des discussions, c’est normal. Parfois c’est tendu. Mais je laisse les gens s’arranger entre eux. Et puis ce n’est pas seulement ma boite, c’est Notre boite à nous. Tout le monde gagne à ce que ça s’arrange. Le résultat est pour nous. C’est une autre façon de voir les choses. C’est de responsabiliser les gens.
Je vois bien que ça bouge, sur des choses toutes bêtes des fois. Les gens éteignent les lumières, ou quand une pièce est mal faite, ils essaient de la retravailler, et ne la jettent plus automatiquement, on voit une culture qui change. 

MF : Vous avez tous la même part dans la SCOP?

SA : Nous, nous n’avons pas voulu que tout le monde mette la même part au début. Parce que ce que nous allions investir venait en grande partie de la prime de licenciement. Et selon qu’on a été dans l’entreprise pendant 30 ans ou 3 ans, on n’a pas la même prime. Si on faisait comme cela on se coupait de certaines personnes et ce n’était pas l’idée. Du coup on a opté pour un pourcentage de la prime. Ca nous semblait plus équitable. Comme ça, c’était le même effort pour tous. A la fin, chacun a une voix. 

MF : Si vous vous projetez à 5 ans, vous voyez quoi?

SA : Je ne me projette pas à 5 ans! Déjà à un an, pour avoir le bilan officiel, pour avoir plus d’infos sur comment va et fonctionne l’entreprise.
On est passé de 85 à 17 salariés. Beaucoup de coûts ont changé. On se bat sur tout en ce moment, pour revoir les coûts de fonctionnement et que ce soit adapté (l’électricité, le gaz..) On est sur des prévisions, mais il faut qu’on ait fait un exercice complet pour voir vraiment.
Si je me projette dans cinq ans, je vois une société un peu plus organisée, en 2 /8, dans laquelle on a remis quelques maillons, (un acheteur, quelqu’un au bureau d’étude, plus de personnes en production…). Là, ce qui nous manque, c’est quelqu’un qui a une vision plus globale de la production. Aujourd’hui, clairement, on a le nez dans le guidon.
Je ne dis pas c’est perdu, mais pas que c’est gagné non plus. On a des clients qui sont assez irréguliers. Il nous en faut plus, et avoir la capacité de les traiter en même temps.

MF : Comment vous vous sentez, vous, dans cette nouvelle organisation?

SA : C’est dur. C’est du 8h/20h, je n’arrête pas. Les nuits sont plus courtes! C’est prenant. Mais c’est comme ça. C’est maintenant ou jamais. Je ne me pose pas la question, j’y vais. La complexité de ce qu’on a fait est grande. C’est bien plus complexe qu’une reprise normale! On a changé l’organisation, on était tous à des responsabilités bien précises. Là, tout est nouveau, on a plus seulement « notre » problème, c’est plus global. Moi j’étais au bureau d ‘études, je n’étais pas directeur! Et c’est pareil pour les autres.
On est 17, 17 « artisans » avec un atelier de taille industrielle. On a hérité d’un mastodonte, et maintenant faut le faire vivre. 

MF : Qu’est ce qui vous a poussé à vous lancer dans la SCOP?

SA : C’est une usine qui me plaisait. Je savais un peu comment c’était ailleurs. Je me suis dit que nous serions nos propres patrons. Et puis il y a le coté humain, pour garder l’emploi. Tout mis bout à bout, je me suis lancé. Quand on a commencé, j’ai dit aux autres : « Ca n’arrive qu’une fois dans sa vie. Et parfois, ça n’arrive pas! « C’est prenant, mais c’est une sacrée aventure que l’on vit depuis un an.

MF : Et bien merci Sébastien.

SA : Je vous en prie.